
Au printemps, le CAUE de l’Isère a reçu l’exposition de Béton et de Lumière
24/09/2025 Architecture
Du 12 mai au 13 juin 2025, le CAUE de l’Isère a eu le plaisir d’accueillir dans ses locaux l’exposition De Béton et de Lumière.
Cette exposition réalisée par le service Patrimoine culturel du Conseil Départemental de l’Isère est itinérante et circule depuis le 3 décembre 2024 et jusqu’au 31 décembre 2025 dans les 13 Maisons du Département.
Ce travail d’inventaire a été réalisé en partenariat avec l’Association diocésaine de Grenoble, propriétaire de la majorité des églises construites après 1905.
Dans le cadre de cette halte dans nos murs, nous avons saisi l’occasion d’organiser plusieurs évènements.
Les caf’expo, animés par l’équipe du CAUE, visites commentées de l’exposition sur le temps de la pause de midi.
Et le 28 mai, une journée consacrée à l’église Saint-Vincent-de-Paul située à Grenoble. Un temps fort avec 2 visites de l’église suivis d’un débat pour échanger sur l’architecture des années 60. Pour cette occasion, le CAUE a eu le plaisir de de recevoir l’un des concepteurs de cette église, François Marchand DESA Architecte honoraire. En 1965, pas encore diplômé, François Marchand intègre l’agence Avezou-Blondeau-Pison et se voit confier le projet avec son ami et collègue Daniel Relave Architecte.
Pour la rencontre-débat, nous avons demandé à 3 architectes de poser une question à François Marchand :
Ø Hubert Lempereur, Architecte
Ø Carine Bonnot, Architecte, Docteur en Urbanisme
Ø Patrick Chedal-Anglay, Architecte
Question Carine Bonnot :
Je connais bien l'œuvre de Maurice Novarina, c'est un nom qui revient souvent dans les commandes des églises dans la région, mais on sait qu'il n'a jamais travaillé seul, on sait qu'il était dans un réseau d'autres architectes. Avec eux qui il partageait des réflexions sur les nouvelles commandes après les années 60, et notamment avant l'arrivée du Vatican II, du Concile Vatican II, avant son écriture dans la forme qu'on la connaît. Et je voulais savoir comment, dans cette commande très spécifique d'église du Nouvel Air, vous avez trouvé votre place en tant que jeune architecte ? Comment cette commande est arrivée, et comment vous avez reformulé le cahier des charges ? Est-ce qu'il y avait un cahier des charges de la part du diocèse ou de l'église lié aux grandes transformations de l'espace liturgique ?
Réponse François Marchand :
C'est une question un peu particulière parce que les agences de l'époque, en tout cas celles qui faisaient plaisir aux jeunes architectes que nous étions et qui avaient envie de travailler, il s’agissait plutôt des agences ateliers que des agences classiques avec un patron.
Donc Les projets à l'agence Avezou-Blondeau-Pison étaient des projets qui arrivaient par l'un d'entre eux. Ils suivaient la progression du projet, mais ils n'intervenaient pas quand ils sentaient que les gens à qui on avait confié le dossier étaient soit capables de le faire, soit capables d'apporter des idées.
On sortait quand même d'un début de reconstruction. La France était encore bien à genoux et donc dans les années 60, ça commençait à sortir. Il y avait cette ambiance un peu particulière qui voulait qu'on confie à des jeunes architectes non diplômés, d'ailleurs c'est une chose qu'on ne verrait plus maintenant.
Et c'était vraiment un projet important. Donc pour répondre un peu à cette question, c'est sans doute Blondeau qui avait récupéré la commande de l'évêché, mais on n'a jamais eu de rapport avec l'évêché. On avait de rapport qu'avec un maître d'ouvrage qui s'appelait le Père de Mons,
Donc le programme, puisqu'on parle du programme, c'était le Père de Mons qui le donnait directement.
Et en face, on avait donc les deux architectes chefs de projet (Daniel Relave et moi-même). Mais j'allais dire, quand on était parti sur une idée, on partageait cette idée en fin de semaine avec toute l'agence.
Et à partir du moment où on avait convaincu à l'intérieur de l'agence que c'était une bonne voie, à ce moment-là, on faisait la proposition au Père de Mons. Et ce qui était d'autant plus drôle, c'est que c'était un garçon très réservé, très intelligent. Et donc, il nous disait, on verra, mais dans quinze jours, parce que je ne peux pas vous donner une réponse tout de suite.
Et donc, on attendait les quinze jours. Nous, on continuait à travailler comme si de rien n'était. Et passé les quinze jours et on avait la validation de la proposition qu'on avait faite.
Autrement dit, on a découvert le programme au fur et à mesure que les choses évoluaient. Et comme je crois que je l'ai écrit au CAUE, à un certain moment, les idées des architectes que nous étions, enfin du cabinet, servaient de base à la réflexion du programme.
Question Hubert Lempereur :
J'avais un peu la même question que Carine sur le fonctionnement de ce type de gros ateliers. Parce que finalement, ce que Carine n'a pas dit, il y a trois ans, avec une dizaine d'architectes grenoblois, on a réalisé un guide d'architecture moderne grenoblois de l'architecture.
Et on s'est rendu compte qu'en réalité, il y avait un nombre de protagonistes assez limité. C'est-à-dire qu'on a une ville qui explose démographiquement et au niveau de sa construction, et finalement, entre 10 et 20 protagonistes principaux qui se partagent le gâteau, dont l'agence Avezou-Blondeau-Pison. Et on s'interrogeait car vu d'aujourd'hui, on n'a pas le même fonctionnement.
On imagine que certains étaient plus affairistes que d'autres, etc., mais n'empêche que le volume de commandes était là. Et vous avez assez bien répondu sur le cadre de l'agence Avezou-Blondeau-Pison sur le fonctionnement très collégiale. J'imagine que ce n'était pas forcément le cas partout ?
Réponse François Marchand :
Non, ce n'était pas le cas. Et je vais vous dire, on a été surpris, en arrivant à Grenoble, de voir cet esprit d'atelier avec des gens qui n'étaient pas très suffisants, qui étaient normaux, on va dire ça comme ça.
Pour nous ça a été une découverte extraordinaire. Et pour répondre à votre question par rapport aux problèmes de cahier des charges, on attendait la fin de la semaine et on réunissait toute l'agence, on était une vingtaine.
Avezou, Blondeau et Pison étaient très accessibles. Il y avait une notion d'amitié qui était respectueuse.
L’objectif était de ne pas se fâcher avec le Père de Mons. D'ailleurs, je ne vois pas qui aurait pu se fâcher avec un monsieur aussi brillant. Ce n'était pas possible.
Question Hubert Lempereur :
Au fond sur la production de l’agence Avezou-Blondeau-Pison, ils sont quand même aussi les auteurs de l’église de Saint-Pierre-du-Rondeau à Grenoble. Est-ce que d'une église à l'autre, il y a eu, comme elle a quand même précédé, quelque chose qui s'était transmis ou c'était vraiment deux expériences complètement différentes ?
Réponse François Marchand :
Non, alors justement, la différence entre Avezou, Blondeau et Pison, c'est qu'Avezou et Pison avaient l'esprit d'atelier, alors que Blondeau, il était plus « raide ».
Et donc, quand Blondeau avait récupéré la commande de Saint-Vincent de Paul, il nous avait fait visiter toutes les églises, soit en construction, soit qui venaient d'être terminées. Et il nous avait amené à Saint-Pierre-du-Rondeau où on lui avait dit « il y a trop de bois là-dedans ».
Saint-Pierre-du-Rondeau, autant que je me souvienne, c'est une église classique avec l'autel et une grande flèche lumineuse au-dessus. Et puis, voilà, c'était à peu près ça. Et ça, ça ne nous intéressait pas du tout.
Nous, on était beaucoup plus intéressés par les églises de Le Corbusier ou de Frank Lloyd Wright, on ne le sait pas trop, mais Wright a construit un ou deux édifices religieux intéressants. Et donc, on était beaucoup plus intéressés par des gens comme ça ou par Alvar Aalto ou par Ludwig Mies Van Der Rohe que par des gens qui nous refaisaient encore des schémas classiques d'église. Et avec Blondeau, on a passé notre temps à tirer le projet dans un sens et lui dans l'autre.
C'était un peu ça nos motifs de satisfaction quand on avait réussi à lui enlever un truc.
Question Patrick Chedal-Anglay:
Ma question porte davantage sur les sources de références.
Il y a à la fois les références, on pourrait dire actuelles, c'est-à-dire ce qui se fait au même moment, dans la région ou ailleurs, en France ou dans le monde.
Et puis, il y a les références plus historiques, avec des typologies d'édifices assez similaires. Et donc là, on est sur un plan centré, ce qui est quand même particulier, puisque la plupart des édifices religieux sont sur plan basilical, un système plus classique.
On voit la hiérarchie que le plan basilical amène dans les offices. Et le plan centré est plus rare. Ça me fait penser un peu à l'architecture byzantine.
On les trouve, je pense, à Riva San Vitale ou encore à Ravenne. Moi, j'aime beaucoup cette église de Riva San Vitale, qui est vraiment sur plan centré.
Ma question est donc la suivante, quels sont les références, les milieux culturels qui vous intéressaient ? Bon, à l'époque, vous étiez très jeune, mais vous aviez quand même, vous disiez, des pensées, vous aviez des rapports avec les écrivains, donc avec un milieu culturel plus étendu.
Donc, quels étaient les niveaux de connaissance, de référence que vous aviez acquis pour ce travail ?
Réponse François Marchand :
Alors, je vais répondre assez simplement à ta question. S'agissant de sujets religieux, on était blindés. Il y avait le Père de Mons d'un côté et le Roi des Chartreux de l'autre (Robert Pierrestiger).
Donc, je veux dire qu'ils nous auraient dit, l'autel, c'est complètement au sous-sol. On aurait dit, pourquoi pas ? On va mettre l'autel au sous-sol. On n'avait pas de référence autre que celle de l'architecture contemporaine de l'époque, c'était ça qui nous animait le plus.
La deuxième chose pour répondre à ta question, c'est le jour où on nous donne un pentagone. Moi, je sortais d'études scientifiques d'un niveau plutôt bon. Pour moi, un pentagone, ça ne se décompose pas.
Un peu décontractés, on met quand même le cœur pas tout à fait au centre. J'ai trouvé dernièrement une phrase qui m'a vraiment ravi, parce que c'était vraiment ça qui nous portait. C'est une phrase de John Coltrane. On lui demandait qu'est-ce qui vous passe dans la tête quand vous faites un morceau ? Il dit, « je pars toujours d'un point et je vais le plus loin possible. ». Pour nous, c'était ça. On partait d'un peu d'une forme donnée au départ, qu'on n'avait pas remise en question.
En plus, quand tu regardes les esquisses de propositions, tu t'aperçois que ça fait une certaine centralité par rapport à tout un quartier. Et ça, c'était la volonté du Père de Mons. Ça doit rejoindre tes questions sur la notion de paroisse.
On avait le sentiment qu'il fallait faire un bâtiment assez puissant à cet endroit-là, mais on n'avait pas d'a priori. Pour nous, c'était d'aller le plus loin possible dans ces réflexions. Comme par nature, puisque tu abordes le sujet, on était plutôt romans que gothiques.
Pour nous, la lumière, c'était quelque chose d'important. On avait plutôt en référence l'église du Thoronet ou le couvent de la Tourette de Le Corbusier à l'Arbrel, mais pas une église en particulière.
Question Carine Bonnot :
Et sur les bétons très bruts, avec quand même tout ce relief de Saint-Vincent-de-Paul, comment est venue cette idée de travailler cette matière ?
Réponse François Marchand :
Alors, cette idée, elle vient d'André Breton et de la notion de surprise. Ce qu'on appelait à l'époque le hasard objectif.
Le hasard objectif d'un décoffrage en arrachant des choses, ça, ça nous paraissait beaucoup plus intéressant.
Et donc, on avait imaginé de prendre des dosses de sapin, de les redresser de façon à ce qu'elles soient bien joignables dans le coffrage, les dosses les unes contre les autres créaient des décalages. Et donc, on avait imaginé qu'en décoffrant, on arracherait assez naturellement une partie des arêtes. Et ça nous paraissait tout à fait le résultat qu'on voulait.
Donc, pour répondre à ta question, c'est André Breton qui est responsable. En plus de ça, quand on était à l'école, on pouvait aller le voir. Tous ces gens, c'était l'avantage de Paris, c'est que tu pouvais aller voir Bachelard, Pérec, Breton.



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