
Figures du CAUE – Hélène Schmidgen-Bénaut : du patrimoine à la transition écologique, le défi de la sensibilisation
16/04/2025
Dans le cadre du 45ème anniversaire du CAUE, nous poursuivons nos entretiens avec des personnalités témoins de la vie de l’association. Ce mois-ci, c’est au tour de Hélène Schmidgen-Bénaut, architecte et urbaniste générale de l’État, et actuellement cheffe de projet transition écologique à la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes.
C’est plusieurs années après avoir démarré sa vie professionnelle que Hélène a connu les CAUE :
« J’ai rencontré pour la première fois les CAUE quand je suis devenue Architecte des bâtiments de France, à partir de 1997. J’ai passé le concours d’architecte-urbaniste de l’État, et dans la formation on nous parlait des CAUE. Par ailleurs, lors de la formation, les lauréats doivent suivre des stages. J’ai en effectué un au SDAP (Service départemental de l’architecture et du patrimoine, aujourd’hui UDAP) du Rhône, pendant lequel j’ai rencontré l’Union régionale des CAUE. On m’avait demandé de produire une étude comparative des différents positionnements des CAUE de la région Rhône-Alpes. A ce moment-là, j’ai croisé Serge Gros qui était directeur du CAUE de l’Isère ».
Auparavant, Hélène avait suivi une formation d’architecte : « J’ai fait mes études à l’Ecole d’architecture de Lyon, en y rentrant en 1982. Une fois diplômée, j’ai intégré des agences d’architecture, où je travaillais finalement beaucoup sur des projets neufs et assez peu sur le patrimoine. C’était assez frustrant pour moi. Et j’hésitais entre suivre le diplôme spécialisé en architecture du patrimoine (DSA) de l’Ecole de Chaillot, ou passer le concours d’architecte-urbaniste de l’État (AUE), qui étaient assez proches. Dans ma tête, je passais le concours d’AUE pour m’entraîner avant d’avoir celui de Chaillot, et j’ai finalement eu le concours d’AUE du premier coup. J’ai donc eu un an de formation en 1997, répartie entre l’Ecole des Ponts et Chaussées et l’Ecole de Chaillot. J’ai eu ensuite mon premier poste au SDAP du Rhône, en tant qu’Architecte des bâtiments de France (ABF). En 2008 j’ai obtenu le poste d’adjointe au SDAP de l’Isère à Grenoble, puis celui de cheffe de service en 2010 ».
Les questions patrimoniales travaillaient Hélène depuis longtemps : « Ma sensibilité envers le patrimoine est ancienne, dans toutes ces dimensions d’ailleurs, littéraires par exemple, avec un intérêt pour ce qui est ancien. Quand je me promenais petite, j’étais toujours attirée par la belle architecture. Mais cette envie de travailler sur le patrimoine bâti est plutôt venue lorsque j’ai travaillé en tant qu’architecte. Pendant mes études, les cours d’histoire de l’architecture commençaient à Le Corbusier ! En écoles d’architecture, à cette époque, on apprenait à construire, mais pas à rénover, ni à restaurer. Je me formais donc de mon côté en lisant les traités de Vitruve, de Viollet-le-Duc, parce que c’était très frustrant de limiter cette culture générale au seul XXe siècle. C’est en désirant préparer le concours de l’école de Chaillot que je me suis concentrée encore plus sur ces enjeux ».
Hélène raconte comment sa mission d’ABF l’a dès le départ mis en lien avec les CAUE : « Lorsque je suis arrivée en poste dans le Rhône, j’ai rapidement travaillé avec le CAUE, qui était très engagé sur les missions de conseils aux collectivités et de formation. Nous avons eu par exemple l’occasion de monter ensemble des chantiers-école, concernant certains savoirs-faire, avec des communes volontaires et des entreprises qui voulaient se former. Mais contrairement à l’Isère, le CAUE du Rhône, en 1998 était moins investi dans le conseil aux particuliers, et donc dans mes missions je recevais beaucoup les particuliers».
A la question de savoir si le renoncement à l’exercice de maîtrise d’oeuvre n’a pas été difficile, Hélène répond : « Quand j’étais en agence, je faisais beaucoup de concours, donc beaucoup de dessins et de conception, et finalement très peu de chantiers. C’était une grande frustration. Et en devenant ABF, j’ai été par la suite beaucoup sur les chantiers, notamment les chantiers d’entretien. Nous sommes conservateurs des cathédrales et des monuments appartenants à l’État, pour lesquels nous sommes responsables de la sécurité, donc j’étais sur ces chantiers là. Ce rôle m’a amené a être proche des entreprises de travaux et des bureaux d’études, donc par rapport à l’exercice libéral, l’écart n’est pas si important. Bien sûr qu’il y a une part de renonciation à la conception, mais dans les permanences pour recevoir les particuliers, dans cette posture de conseil, on n’est jamais très loin du projet, mais d’une autre manière ».
Elle témoigne de ce poste particulier d’Architecte des bâtiments de France, et des représentations qu’il véhicule : « La question de pouvoir des ABF suscite des fantasmes et des questions, parce que les ABF sont parmi les derniers fonctionnaires à avoir un pouvoir en leur nom propre. Et donc les gens pensent que nous avons énormément d’influence, qu’en disant une seule parole on bloque les projets. Il est clair que le poste a une dimension régalienne. Certaines demandes nécessitent un avis conforme de l’ABF, et cet avis s’impose, mais il y a aussi énormément d’actions de conseil ».
Hélène poursuit : « J’ai passé le concours à 33 ans, j’avais déjà un bon exercice privé derrière moi, et ça m’a beaucoup aidé de connaître les difficultés des maîtres d’oeuvre, le positionnement d’un salarié en agence qui est parfois un peu corvéable à merci, qui fait tout, de servir le café à aller présenter le grand projet. Je suis donc devenue fonctionnaire d’État en comprenant les partenaires quotidien avec lesquels j’allais travailler. Le pouvoir que je pouvais détenir, j’ai toujours essayé de l’utiliser avec parcimonie. Ce qui m’intéressait, ce n’est pas d’exercer un pouvoir régalien, mais de convaincre, de faire de la pédagogie, de faire passer des messages, de comprendre et de faire comprendre. Je trouvais que c’était une suite de parcours logique. Et ce qui me passionne dans la vie, c’est de toujours apprendre, de manière à construire mon avis, à savoir comment peser le pour et le contre. Dans ma posture d’ABF, j’ai essayé de porter la notion de service public, en me montrant ouverte, en recevant du public ; et en travaillant en concertation avec les partenaires. Et c’est comme cela que j’ai beaucoup travaillé avec les CAUE ».
Hélène poursuivra d’ailleurs par la suite ce compagnonnage avec les CAUE dans notre département: « Quand je suis arrivée sur mon poste en Isère, je suis beaucoup allée sur le terrain pour découvrir le territoire. Les avis de l’ABF sont contextualisés, on ne peut pas les prendre sans connaître les lieux où sont situés les projets. A ce moment-là, j’ai rapidement rencontré les architectes-conseillers du CAUE, et puis après l’équipe permanente. J’ai intégré aussi rapidement le Conseil d’administration du CAUE, parce que l’ABF est membre de droit du CA. En tant qu’ABF, il y a de nombreux endroits où on ne peut que rencontrer le CAUE, comme la commission des sites (CDNPS) où le CAUE siège ».
Elle rend compte par ailleurs des enjeux à coordonner les actions entre acteurs du cadre de vie : « Le CAUE était très présent sur le conseil aux particuliers, avec une force de frappe assez importante puisqu’il y avait déjà une vingtaine d’architectes-conseillers. L’enjeu en Isère était donc surtout de caler nos positionnements entre l’UDAP et le CAUE pour tenir un discours semblable devant les particuliers, avec l’idée que mutualiser, se répartir les forces évitait de faire deux fois la même chose. Et sur le conseil aux collectivités, la spécificité du CAUE en Isère concernait l’accompagnement aux documents d’urbanisme, ce qui donnait lieu aussi à travailler ensemble. L’Isère est un territoire immense, avec une grosse pression foncière, et à l’UDAP nous avions une petite équipe de sept personnes. Je croyais, et je le crois toujours, que si on veut mener des actions, on est obligé de travailler avec des partenaires ».
Hélène poursuit sur les singularités de notre association : « En arrivant en Isère, je me suis rendue compte que la spécificité du CAUE reposait sur son positionnement concernant les enjeux de développement durable, avec par exemple l’intégration du bois dans les projets d’aménagement. Je pense que le CAUE de l’Isère a, à se mesure, et beaucoup plus que d’autres CAUE, tiré son territoire vers les questions de transition écologique, les enjeux de sobriété. Il était pour moi très précurseur, et il a été une locomotive. Je pense que beaucoup d’acteurs du territoire ont bénéficié de ce rayonnement ».
Elle raconte son engagement au sein du Conseil d’administration du CAUE : « Dans mon rôle d’administratrice du CAUE, j’ai beaucoup essayé de soutenir l’équipe et d’impulser modestement des choses, comme le déploiement des architectes-conseillers, dont la présence me semblait essentielle. Et puis au sein du CA du CAUE il y avait aussi une transversalité intéressante. J’y ai découvert l’Ordre des géomètres, avec la possibilité de travailler ensemble, alors que les géomètres étaient des acteurs qui me semblaient porter des objectifs différents des ABF, notamment quand je les rencontrais sur des projets de lotissement. J’avais une vision caricaturale de leur profession, et ils avaient aussi une vision caricaturale des ABF. Le CA permettait une réelle mise en lien et donnait la capacité de faire progresser tout les membres, et les acteurs qu’ils représentaient, sur les enjeux de l’aménagement Et grâce au CAUE, je suis devenue pas si mauvaise en comptabilité, puisque dans mon rôle d’administratrice j’étais vigilante sur le budget alloué au CAUE. Ça m’a permis de comprendre et savoir analyser ce qu’était un bilan financier ».
Depuis 2022, Hélène a rejoint le siège de la Direction des affaires culturelles (DRAC) Auvergne-Rhône-Alpes, où elle a la charge, en tant que chargée de mission transition écologique, de porter cette question auprès des deux-cent-cinquante agents que la DRAC rassemble et des différentes politiques que ces derniers mettent en œuvre. Pour elle, cette trajectoire ne relève pas du hasard : « Si aujourd’hui je travaille sur les questions de transitions écologiques, je pense que je le dois aussi au CAUE de l’Isère, qui était très investi sur cette question et qui m’a permis, en rencontrant de nouveaux partenaires, de mûrir ma réflexion sur ces enjeux ». Hélène observe par ailleurs : « En Isère, il y a seulement trois cents monuments historiques, ce qui est relativement peu, mais il y a énormément de protections au titre du Code de l’environnement, avec 25 000 ha protégés. Si en 2008 j’ai postulé dans ce département, c’était déjà parce que les questions d’environnement, de paysage, d’urbanisme m’intéressaient tout autant que le patrimoine bâti proprement dit ».
Observant son nouveau poste, Hélène témoigne: « la transition écologique est un sujet qui est vraiment difficile et clivant. Je le constate dans ma vie professionnelle comme dans ma vie personnelle. Lorsque je dis ce que je fais dans mon travail, les gens se sentent parfois agressés parce qu’ils ont l’impression que je vais leur demander de prendre le train au lieu de prendre leur voiture. Je pense qu’on vit une période de prise de conscience globale, qui génère des réactions différentes, parce que nous n’en sommes pas tous au même point en termes de cheminement. Il y a des gens par exemple pour lesquels l’avenir fait tellement peur qu’ils occultent cette réalité ».
Ce poste l’amène à envisager l’enjeu environnemental sous une approche particulièrement sociétale : « Le sujet de la transition écologique est souvent mal perçu, et je pense que c’est une question qu’il ne faut pas attaquer de manière frontale. Ce qu’on porte dans les DRAC, c’est l’idée qu’il faut d’abord essayer de développer un imaginaire qui amène les gens à considérer la sobriété écologique comme attractive, à considérer que cette voie peut être séduisante, en termes de confort de vie quotidienne par exemple. Sans devoir mettre la barre trop haut, parce que ce qui fige les gens, c’est quand ils se sentent incapables d’atteindre les objectifs qui leur sont présentés ».
Sur ce sujet, Hélène observe des signaux positifs : « Je trouve qu’aujourd’hui, avec les enjeux de transition écologique, il est plus facile de porter les messages sur le réemploi des locaux existants, sur une analyse de la consommation énergétique du bâtiment sur un cycle long, sur questionner le réflexe de démolir ou de consommer des terres agricoles et naturelles. Avec la raréfaction des matières premières, il est plus facile d’évoquer ces enjeux ».
Bien sûr, Hélène constate la tension qui peut apparaître parfois sur les sujets de transition impliquant le patrimoine : « Si les ABF sont sceptiques sur l’isolation des bâtiments par l’extérieur, ce n’est pas par principe, c’est parce qu’ils ne sont pas convaincus qu’il s’agit de la meilleure solution. Le bâti ancien doit respirer, et si on ne respecte pas ses caractéristiques, on créé de l’obsolescence programmée d’une certaine manière. Emballer un bâtiment qui doit respirer dans du polystyrène avec des menuiseries PVC, cela génère assez rapidement de l’insalubrité à l’intérieur, ou nécessite des systèmes de ventilations qui seront tellement énergivores qu’à la fin on n’aura rien gagné en matière de consommation énergétique. C’est pour cela qu’il est important d’échanger de manière partenariale pour avancer et faire adhérer aux solutions pertinentes ».
Tirant le fil rouge de sa carrière professionnelle, Hélène déclare : « Mon parcours m’a fait avancer sur certaines réflexions. Aujourd’hui, on sait qu’on n’a pas assez de matière pour reconstruire tout ce qui a été construit. Donc préserver le patrimoine au sens large, c’est préserver des équipements qui existent déjà, et pour lesquels on n’a pas de matière à aller chercher. Je vois beaucoup les choses par l’angle de l’humain. Je trouve qu’on regarde souvent le patrimoine, qu’il soit bâti ou naturel, de manière déconnectée de l’humain. Et préserver ce patrimoine, pour moi c’est préserver un morceau de notre humanité, de garder une trace de la grande chaîne des gens qui nous ont précédés. Avec la Ville de Grenoble, j’ai été très attentive à défendre la réhabilitation de la cité de l’Abbaye, dont le bailleur social qui en était gestionnaire avait décidé la démolition dans un premier temps. Au delà de l’intérêt en terme de patrimoine bâti, pour moi c’était aussi le patrimoine immatériel, l’histoire des gens qui y avaient habité le quartier qui était finalement le plus important ».
A la question rituelle d’indiquer un paysage isérois qui lui est cher, Hélène répond : « Le premier paysage qui me vient en tête, c’est celui de Besse-en-Oisans et du plateau d’Emparis, parce que j’y ai beaucoup travaillé. Je suis très attachée aux personnes qui vivent à Besse-en-Oisans, aux gens qui ont ‘’fait’’ ce village, qui ont été en capacité de le faire venir jusqu’à nous, alors que les conditions de vie ne sont pas facile là-haut. Ce qui me touche à cet endroit, c’est le grand paysage, l’ouverture, l’espace, le fait d’être près du ciel. C’est un lieu qui se mérite, on passe par des vallées profondes, encaissées, avec une route pas facile. Cette découverte est un vrai processus en soi ».
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