
Figures du CAUE - Etienne Masson, directeur de l’AGEDEN : l’aménagement doit se penser de manière transdisciplinaire
28/05/2025
Dans le cadre du 45ème anniversaire du CAUE, nous poursuivons nos entretiens avec des personnalités témoins de la vie de l’association. Ce mois-ci, c’est au tour d’Etienne Masson, directeur de l’AGEDEN, l’Association pour une Gestion Durable de l'Energie.
Etienne a entendu parler des CAUE dès le début de sa vie professionnelle : « J’ai commencé à travailler en 1991, en Haute-Savoie, en tant qu’objecteur de conscience dans une association de promotion de l’efficacité énergétique, équivalente à l’AGEDEN. Je suis ingénieur en génie civil et urbanisme de formation, avec une option sur l’énergie. Issu d’un territoire rural, en Anjou, où on avait conscience un peu avant l’heure de ce qu’était la transition énergétique, j’ai toujours été intéressé par ces questions de maîtrise de l’énergie. Mes premières missions portaient sur le développement de chaufferies collectives au bois, projets qui émergeaient tout juste. Nous faisions du conseil en énergie, et nous avions déjà le réflexe de contacter le CAUE de Haute-Savoie pour avoir un regard complémentaire dans ces mission de conseil ».
Etienne est arrivé en Isère en intégrant par opportunité l’AGEDEN en 1997. « L’AGEDEN avait été fondée en 1977. Elle est représentative d’une myriade d’associations fondées juste après le choc pétrolier, pour promouvoir des énergies renouvelables et locales qui nous rendraient plus autonomes. Ces associations ont commencé par travailler sur l’énergie solaire, puis après sur l’énergie bois, ensuite elles ont abordé les enjeux de l’efficacité énergétique et enfin les questions de sobriété. C’est un peu à l’envers de la logique qui est promue aujourd’hui, parce qu’on évoque d’abord la sobriété, ensuite l’efficacité et après les énergies renouvelables, mais c’est comme cela que leur action s’est déployée ».
Il explique dès le départ les liens que l’AGEDEN pouvait avoir avec le monde de l’aménagement, et notamment l’architecture : « Les associations telle l’AGEDEN ne sont pas issues d’une loi, contrairement aux CAUE. Elles sont nées de militants qui voulaient travailler ces questions en dehors de leur cadre professionnel. Le premier président de l’AGEDEN, Gérard Kuhn, était un enseignant en énergie à l’IUT de Grenoble, et parmi l’équipe fondatrice il y avait des enseignants de l’Ecole d’architecture de Grenoble. Pour résumer, l’AGEDEN a été fondée par un groupe de chercheurs, d’architectes et d’entreprises de chauffagistes qui réalisaient les premières installations solaires thermiques. L’habitat bioclimatique a d’ailleurs été un sujet porté dès les débuts de l’association ».
Quelques années après avoir intégré l’association, Etienne en prendra la direction : « Quand je suis rentré à l’AGEDEN, l’équipe ne rassemblait que cinq ou six salariés. C’était une époque où l’association, via ses administrateurs bénévoles, avait remporté un appel à projets européen conséquent. L’AGEDEN entamait simultanément un virage plus professionnalisant, et la gestion de la structure devenait trop lourde pour des administrateurs bénévoles. L’enjeu concret était d’abord de finaliser les dossiers qui rendaient compte des actions réalisées, pour débloquer les fonds européens et tout simplement verser les salaires ». Ça a été une période critique pour l’association sur les aspects financiers, et on m’a confié la mission plus globale de gestion financière de l’association, puis la direction. J’ai appris cette fonction un peu « sur le tas ».
A son poste de direction, Etienne a rapidement noué des contacts avec le CAUE : « J’ai très rapidement rencontré la direction du CAUE, concernant des clivages entre nos deux structures, typiquement au sujet du traitement des panneaux solaires sur les toitures en tuiles écailles du Trièves. Du côté de l’AGEDEN, en exagérant un peu, notre discours était de dire que la planète n’allait pas très bien, et que les tuiles écailles n’étaient peut-être pas la priorité. Et côté CAUE nous avions l’impression que les panneaux solaires étaient à proscrire de toutes les toitures sur certains territoires. Chacune de nos associations défendait son point de vue, et il fallait qu’on se rencontre. En travaillant ensemble, on a réussi à définir un positionnement médian pour conseiller les acteurs de ce territoire. Ensuite, avec le CAUE, on ne s’est plus quitté ».
Etienne poursuit sur les souvenirs marquants de ce compagnonnage : « J’ai été très marqué par les voyages d’étude organisés par le CAUE, dans le Voralberg notamment et l’AGEDEN a clairement profité de la dynamique du CAUE, qui était très pro-actif sur les questions de sensibilisation. Le CAUE n’hésitait pas à provoquer le débat sur les questions de transition en matière d’aménagement. Dans le Voralberg, j’avais été étonné par la capacité du CAUE à rassembler des élus et des techniciens de tout le département, des gens d’univers différents se rencontraient. Et puis sur place, ce qui m’avait beaucoup impressionné, c’était le rôle que les entreprises locales, notamment celles de la filière bois, jouaient dès la conception du bâtiment. Voir comment en Autriche la culture de l’aménagement était différente de chez nous amenait à réflechir ».
Le CAUE et l’AGEDEN poursuivent par ailleurs depuis de nombreuses années des actions communes, comme « des temps de sensibilisation conjoints pour les élus », ou « les projets d’accompagnement de collectivités. Je pense par exemple, parce que c’est emblématique, à l’Eco-Quartier de La Rivière, où la commune était accompagnée par nos deux structures, avec de notre côté une chaufferie bois avec un petit réseau de chaleur » . Etienne observe la complémentarité des deux structures en matière de conseil : « Je trouve que le CAUE pose bien le fait que l’aménagement doit se concevoir avec un regard transdisciplinaire. Nous concernant, ce n’est pas suffisant de dire que l’énergie ou le climat doivent être la priorité. Les pratiques et le confort des usagers sont aussi essentiells, et le CAUE, notamment à travers le réseau des architectes-conseillers, arrivent bien à sensibiliser sur le fait que la qualité d’un espace s’apprécie sous différents aspects ».
Résumant ces contacts entre les deux associations, Etienne explique : « Le CAUE a mené des réflexions qui élargissait notre regard sur les projets d’aménagement, comme l’importance de la phase de conception, avec le rôle de l’architecte et l’enjeu de la prise en compte de l’énergie grise. Nous avions à l’AGEDEN une vision peut-être trop techniciste, et ces réflexions nous ont beaucoup apportées. Plus personnellement, le CAUE m’a sensibilisé à l’architecture, à certaines notions comme les modénatures par exemple. J’ai compris qu’un bâtiment en béton brut pouvait avoir une valeur architecturale, alors que j’avais quelques préjugés sur ce point ».
Depuis ces près de trente ans de contact réguliers avec le CAUE, l’AGEDEN a largement évolué, intégrant plus de 60 salariés (44 Equivalent Temps Plein) aujourd’hui : « Nos statuts ont changé, notamment en 2008, où on conservé notre acronyme, mais en changeant sont sens. Nous étions ‘’l’Association Grenobloise pour l’Étude et le Développement des Énergies Nouvelles’’, et nous sommes devenus après ‘’Association pour une Gestion Durable de l’Énergie’’ ».
Etienne poursuit : « Nous avons redéfini un projet associatif en 2019, suite à la Loi relative à la transition énergétique de 2015. Cette loi a clarifié les compétences des uns et des autres, en faisant notamment des Régions les pilotes de cet enjeu et les EPCI les acteurs de sa mise en œuvre. Nous sommes restés sur notre coeur de métier ‘’bâtiment’’, avec l’idée de guider les ménages, les entreprises et les collectivités dans des démarches globales et cohérentes, sans oublier les autres enjeux, comme les aspects sociaux ou architecturaux, ce qui nous ramène à nos liens avec le CAUE. On s’est dit que notre rôle était d’être un « tiers de confiance », nous ne vendons rien, nos statuts nous rendent indépendant des acteurs privés. Nous sommes donc légitimes pour faire les conseils les plus neutres et indépendants possibles, avant d’engager des dépenses vers des études ou des travaux réalisés par les acteurs privés. Notre rôle est d’être là avant que des dépenses soient engagées, pour dégrossir le projet d’une certaine manière. ».
Le statut associatif d’une structure comme l’AGEDEN n’est pas forcément simple au quotidien : « Notre modèle fait que nous avons aujourd’hui une quarantaine de financeurs principaux. C’est une contrainte, mais qui nous permet de rester autonome et indépendant ». Cependant, Etienne juge ce statut positif sur de nombreux aspects : « L’interêt du statut associatif, par rapport aux établissements publics, réside pour moi dans la liberté d’explorer par nous-mêmes des sujets nouveaux. Cette possibilité de sortir des clous nous rend plus innovant. D’ailleurs, j’observe qu’entre les CAUE il y a des actions très différentes qui sont développées. Pour moi, ça c’est une richesse ».
Il complète: « Cette créativité permise par le statut associatif provient aussi d’une gouvernance multi-acteurs. Notre conseil d’administration comporte différents collèges d’acteurs, dont le CAUE. Que des sujets d’intérêts publics soient confiés au milieu associatif, cela permet pour moi de se laisser collectivement des chances de tester des projets, là où le secteur public doit déjà assurer ses propres missions. Ceci dit, nous ne sommes pas en roue libre, nous sommes très liés par nos financeurs ».
Auprès du grand public isérois, l’AGEDEN est connue comme ‘’point d’accueil France Rénov’’ en partenariat avec l’ALEC (Agence Locale de l’Energie et du Climat), sur les questions de rénovation du bâti : « C’est un dispositif d’État, cofinancé par les intercommunalités. On recueille l’ensemble des demandes par notre standard, qui donnent lieu ensuite souvent à des rencontres physiques dans les intercommunalités. Les demandes sont à chaque fois contextualisées aux dispositifs que les intercommunalités peuvent mettre en œuvre, comme les fonds air-bois par exemple. Ce dispositif nous occupe beaucoup. Nous sommes positionnés en amont des démarches, justement sur des premiers conseils, sachant que d’autres opérateurs privés labellisés interviennent par la suite si des interventions d’ampleur se dessinent ».
Etienne constate : « L’enjeu concernant ces dispositifs est de toucher aujourd’hui des ménages éloignés de ces sujets, puisque les militants et les personnes déjà sensibilisées ont globalement été les premiers à se saisir de ces aides. Il faut également arriver à avoir un vivier d’artisans locaux suffisants. Ce que nous essayons de faire, c’est également de ‘’coacher’’ les ménages qui nous ont déjà contactés, en les rappelant, pour les inciter à aller au bout de leurs démarches, et faire en sorte qu’ils ne se découragent pas ».
Il rapporte également : « Parmi les axes saillants de nos statuts, il y a la question du travail avec nos partenaires, pour arriver à démultiplier notre force de frappe. Faire en sorte que des actions assurées initialement par nous soient menées par d’autres, parce que nos moyens sont limités. On a appelé ça le ‘’faire-faire’’. Comme former des groupes d’élus municipaux, pour qu’ils puissent animer eux-mêmes des soirées thermographiques avec une caméra thermique. Nous travaillons également aves des collectifs citoyens, comme les associations de centrales villageoises ».
Concernant l’action des collectivités, Etienne se veut positif : « Ce qui m’impressionne, c’est que même si le contexte est compliqué pour elles, il y a partout la volonté de faire. D’ailleurs, dans tous les ‘’projets de territoire’’ aujourd’hui, il y a la question de l’énergie-climat qui apparaît. C’est une énorme évolution depuis ces trente dernières années. Avant, on dialoguait avec des élus volontaires, mais il y avait également des territoires qui n’intégraient pas du tout cette question de transition énergétique.e. Et puis depuis une quinzaine d’années, l’enjeu des prix de l’énergie, la plus grande sensibilité aux enjeux climatiques a bouleversé les représentations. Les PCAET (plans climat air énergie territoriaux) qui pouvaient être vus parfois comme une contrainte par les collectivités sont maintenant plus souvent vus comme un atout pour guider les projets de territoire ».
Etienne conclut : « Notre objectif est de pouvoir parler à tout le monde. Notre chance, c’est que l’enjeu énergétique est un sujet consensuel, dans la mesure où il intéresse tout le monde. Les réponses à ces enjeux suscitent bien sûr des débats, notamment dans les pistes sur le mix énergétique souhaitable et ses modalités d’application, mais notre positionnement neutre et indépendant nous permet d’organiser nos missions assez sereinement ».
A la question posée à chacun des interrogés concernant un paysage isérois qui lui est cher, Etienne rapporte : « J’aime beaucoup un certain coin du Pays Voironnais, autour de Saint-Nicolas-de-Macherin, Merlas et toute la vallée de la Valdaine, en allant jusqu’au dessus de Miribel-les-Echelles par le col des Milles Martyrs. C’est un territoire de campagne très bucolique et très préservé, avec de nombreuses zones humides, un territoire de montagnes pas trop hautes mais avec quand même du relief. C’est vraiment merveilleux pour aller se balader à pieds ou en vélo ».
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