Figures du CAUE : Rachel Anthoine et Isabelle Berruyer, un pas de côté renouvelé
02/01/2025
Dans le cadre du 45ème anniversaire du CAUE, nous poursuivons nos entretiens avec des personnalités témoins de la vie de l’association. Ce mois-ci, c’est au tour de Rachel Anthoine et d’Isabelle Berruyer, salariées du CAUE.
Rachel Anthoine et Isabelle Berruyer ont intégré l’équipe permanente du CAUE il y a une vingtaine d’années. Au fur et à mesure de temps écoulé, elles ont vu leurs missions évoluer, les pratiques du CAUE s’adapter, sans que l’association ne perde de vue ses valeurs fondatrices.
Isabelle a commencé sa rencontre avec le CAUE dès 1994 : « J’ai commencé en CDD, pour des missions particulières, à une époque où il y avait peu de bureaux d’études qui répondaient à des missions à l’échelle de grands territoires. C’est donc le CAUE qui venait chercher des professionnels pour organiser ce type de missions. J’ai ainsi commencé par travailler pour le secteur de Tullins-Vinay, sur une étude concernant le lien entre le bâti de ce territoire et son environnement, avec notamment un travail d’inventaire, de description des typologies locales. Tout cela avec l’objectif de prendre en compte ce contexte dans les documents d’urbanismes locaux ». Par la suite, en retournant en exercice libéral, Isabelle a intégré le réseau des architectes-conseillers du CAUE. Elle reviendra définitivement dans l’équipe permanente du CAUE en 2001, en animant notamment jusqu’à 2011 la permanence de la consultance architecturale du jeudi matin dans les locaux de l’association.
Rachel a pour sa part intégré le CAUE en 2003 : « Je suis venue remplacer, au départ de manière temporaire, une chargée de mission en paysage, sur des missions de conseil aux collectivités. J’étais paysagiste-conceptrice à ce moment-là, et j’exerçais depuis 1992 principalement dans les Hautes-Alpes mais j’avais participé à des études grands territoires sur le Trièves et les Vals du Dauphiné notamment, où le CAUE était partie-prenante. J’avais terminé quelques temps plus tôt une mission au sein de l’Agence d’urbanisme de la région Grenobloise, et le directeur du CAUE est venu me solliciter. » Par la suite, Rachel a pu demeurer au sein de l’équipe, avec la création d’un deuxième poste pérenne sur la compétence paysage.
Avant d’intégrer le CAUE, chacune d’entre elles avait déjà une certaine vision de la singularité de la structure. Rachel rappelle avoir connu les CAUE, « en faisait mon stage de fin d’études au CAUE des Hautes-Alpes », et celui de l’Isère « en répondant à plusieurs consultations qu’il avait accompagnées ». « J’avais l’impression d’avoir affaire à une équipe assez petite, mais très soudée. Ce qui m’a attiré, c’était le fait que le CAUE avait une stratégie d’action assez structurée, en étant très présent auprès des collectivités. Je le sentais aussi très en lien avec les maîtrises d’œuvre. »
Etudiante à l’école d’architecture de Grenoble, Isabelle connaissait le directeur du CAUE, Serge Gros : « J’avais l’image d’un CAUE très axé sur les études de territoires, très porté sur le patrimoine vernaculaire, mais en vérité je ne savais pas précisément ce que faisait la structure. C’est en travaillant pour le CAUE que j’ai appris à découvrir l’éventail de ses actions. »
Les deux professionnelles découvrent progressivement l’action du CAUE et y prennent pleinement leur place. Isabelle évoque : « c’était une période, les années 1990-2000, pendant laquelle le CAUE était très tourné sur les territoires ruraux, justement à valoriser et aider à comprendre ce bâti ancien et ses spécificités. Et je me rappelle que nous consacrions beaucoup d’énergie à former les professionnels concernant les couleurs, le pisé, la chaux, les pathologies des bâtiments… Chaque chargé de mission travaillait d’ailleurs sur tous les sujets : architecture, paysage, urbanisme ». Rachel pointe de son côté l’évolution de l’équipe : « les compétences se sont élargies, avec l’entrée d’urbanistes et les recrutements successifs. Il y a d’ailleurs eu par la suite une phase de spécialisation, avec la création de pôles métiers. Ces compétences croisées nous ont permis de répondre à des attentes plus larges, sur le conseil aux collectivités comme sur la sensibilisation. Nous avons eu par exemple l’occasion de mener des réflexions spécifiques concernant l’espace public, traduites sous forme de rencontres, de films. Cette étape de la vie du CAUE a été très intéressante. »
Isabelle évoque le rôle central des partenariats que le CAUE a noué, notamment avec l’Hexagone, scène nationale de Meylan : « Le CAUE était impliqué dans la biennale Arts-sciences, et ça a été l’une des occasions d’exprimer le ‘’pas de côté’’, l’approche décalée qui est dans l’ADN des CAUE. » Autre souvenirs marquants, Isabelle évoque les Rencontres du Patrimoine, visite annuelle sur un lieu singulier, avec un débat thématisé entre maîtres d’œuvre et partenaires : Fédération des associations patrimoniales de l’Isère (FAPI), l’État (Service départemental de l’architecture et du patrimoine – SDAP) et le Département (Service de la conservation du patrimoine de l’Isère – CPI). Le CAUE en était co-organisateur avec la Maison de l’Architecture de l’Isère.
Lors de ces vingt dernières années, Rachel et Isabelle ont pu constater des évolutions profondes dans la mission de conseil aux collectivités du CAUE. Rachel observe « une grande prise de conscience des enjeux de santé dans l’aménagement, du rôle de la participation habitante. Ces sujets sont vraiment montés de manière très forte dans les collectivités. Néanmoins, la question de l’identité du lieu qu’on aménage, de comprendre là où on est, cela demeure un souci constant. J’ai l’impression que l’ancrage des projets, qui était déjà un enjeu présent, devient de plus en plus prégnant, notamment en raison des prises de conscience sur le dérèglement climatique. » Rachel constate aussi « une présence plus grande des femmes dans les conseils municipaux par rapport à il y a vingt ans. Et je pense que ça a permis d’équilibrer certaines préoccupations. »
Isabelle raconte de son côté des rapports aux collectivités qui étaient différents : « Les diagnostics que l’on produisait il y a vingt ans étaient, il me semble, bien plus étoffés. Nous étions dans une période où il fallait gagner la confiance des élus, et notre manière d’y arriver était de leur parler de leur histoire, de leur territoire, avec un travail important de recherche en amont. On vivait d’ailleurs une période de transition entre des élus qui étaient installés depuis très longtemps, qu’il fallait écouter de manière humble, et de nouveaux élus qui connaissaient moins leur territoire, et qu’il fallait sensibiliser. D’où cet investissement important. » Rachel complète sur une organisation temporelle différente du travail : « L’idée était que dans nos restitutions, il y ait le plus d’élus possibles. C’était une période où les réunions étaient systématiquement à 20H30. Et puis par la suite, on a beaucoup plus associé des partenaires à ces accompagnements, et de ce fait les réunions ont eu tendance à se décaler plus tôt dans la journée. »
Pour illustrer cette période singulière, Isabelle évoque l’accompagnement de la commune de La Rivière, qui a donné lieu à la création en 2009 du premier EcoQuartier de France en milieu rural : « Pour travailler avec les communes, il fallait parfois arriver à montrer patte blanche. Et ça passait parfois par à aller au contact des élus lors de la matinée boudin, à la fête du pain. Il fallait tout simplement être là, de manière à gagner un pas dans la confiance, lever des freins, et finalement aller plus vite et plus loin dans nos actions de conseil par la suite. »
De son côté, Rachel rappelle l’implication du CAUE dans les quatre saisons de Paysage-Paysages de 2016 à 2020, pour un déploiement sans précédent d’actions culturelles et de sensibilisation autour du paysage, au contact de tous les publics, avec la participation d’artistes, de professionnels, d’élus, de partenaires et de bénévoles associés, sur l’initiative et avec le soutien du Département.
Bien que demeurant salariées d’une petite structure, Rachel et Isabelle ont eu l’occasion d’y évoluer. Rachel a pris en 2013 la responsabilité du pôle paysage, puis celle du pôle projets stratégiques en 2024. Isabelle s’est investie peu à peu dans les actions de sensibilisation envers les publics scolaires, de manière à y consacrer tout son temps au CAUE en devenant en 2020 responsable de l’espace Péda’Go !, l’espace pédogique.
Malgré ces évolutions, elles constatent toutes les deux des permanences fortes dans leur travail au CAUE. Isabelle explique : « avec ma mission aujourd’hui, je suis à 100 % sur la transmission de ce que j’ai appris avant, tout particulièrement au CAUE. Et dans cette manière de faire du lien pour mener ces actions pédagogiques, je retrouve pleinement le rôle du CAUE : associer différents partenaires, ne pas isoler les approches. C’est la meilleure manière de promouvoir la qualité. » Rachel poursuit : « pour ma part, continuer à mener des conseils aux communes est une forme d’ancrage. Ça nourrit tout ce que je fais à côté, ça me permet de me remettre en question dans mes pratiques. »
Dans le cadre de cet anniversaire du CAUE, dont le fil rouge est le paysage, nous continuons à demander aux témoins interrogés un paysage isérois qui leur est particulièrement cher. Pour Isabelle « c’est la vue depuis chez moi, sur le seuil géologique de Rives, que je trouve exceptionnelle. A partir de la trace laissée par les glaciers, je vois de l’Avant-Pays savoyard au Vercors, en passant par la Chartreuse, la vallée de l’Isère. Je vois un panorama à 180°, qui déroule tous les paysages de l’Isère en un seul coup d’œil, entre plaines et montagnes, qui est incroyable. ». Rachel, qui voisine Isabelle sur les hauteurs de Voiron évoque pour elle « cet axe très ouvert où, en remontant le cours de l’Isère, puis du Drac, on voit jusqu’à l’Obiou. Il n’y a pas d’horizon barré. Je revois les sommets que je voyais quand je vivais dans les Hautes-Alpes. Cette ouverture est impressionnante. »
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