Figures du CAUE : Serge Gros, trente-cinq années pour bouger les lignes

Figures du CAUE : Serge Gros, trente-cinq années pour bouger les lignes

26/02/2025

Nous poursuivons en ce début d’année nos portraits de figures marquantes du CAUE.

Ce mois-ci, Serge Gros, directeur du CAUE entre 1989 et 2019, nous a consacré un peu de son temps au milieu d’une retraite très active.

Serge a entendu parler pour la 1ère fois du CAUE après son diplôme à l’École d’architecture de Grenoble, au début des années 1980. « J’avais décroché avec un collègue, via le Parc Naturel Régional du Vercors, un contrat pour réaliser un inventaire architectural concernant le patrimoine du canton de Monestier-de-Clermont. J’étais en contact avec les maires des communes du canton, et c’est comme cela que j’ai rencontré Maurice Puissat, conseiller général et maire de Miribel-Lanchâtre. Le CAUE venait d’être créé en décembre 1979, et il était devenu son premier Président ».

De fil en aiguille, Serge s’est familiarisé avec l’association : « J’ai par la suite rencontré la petite équipe du CAUE, et on m’a proposé de réaliser des missions pédagogiques en milieu scolaire ». De ce début de vie professionnelle, au milieu des années 1980, Serge développe des capacités de touche-à-tout : « J’ai commencé à travailler au CAUE en ayant plusieurs contrats d’affilée, mais j’avais en parallèle d’autres employeurs. Le CAUE avait peu de marges de manœuvre financières pour m’embaucher complètement, donc j’étais également architecte-conseiller pour le CAUE de l’Ain, mais aussi architecte-conseil pour l’État en Isère où je travaillais sur des sujets concernant l’insertion des bâtiments agricoles. Et j’exerçais à côté une activité libérale ».

De cette première enfance dans la vie de l’association, Serge a été le témoin d’un démarrage complexe : « Le CAUE était encore en phase de test, dans un milieu assez hostile. C’était une époque où dans le monde de l’architecture, celui qui n’était pas maître d’œuvre n’avait pas droit de cité. Par ailleurs, l’ordre des architectes avait des craintes sur le fait que le CAUE prenne la place et le travail des architectes libéraux. De ce fait, on avait cantonné l’action du CAUE à des missions d’inventaire et de sensibilisation autour du patrimoine bâti isérois et à la gestion de la consultance architecturale ».

Concernant cette dernière mission, l’un des quatre piliers confiés aux CAUE par la loi sur l’Architecture de 1977, Serge détaille : « la consultance avait été initiée par l’État au milieu des années 1970, via les DDE. Mais après la création des CAUE, l’État s’est progressivement désengagé du financement de ce service. En Isère, la consultance avait été instaurée sur des sites jugés à enjeux : le Trièves, les massifs de Belledonne, du Vercors et de la Chartreuse. Il y avait donc un petit collège de cinq ou six architectes-conseil de la DDE, qui agissaient seuls sur leur territoire sans pouvoir toujours se rendre sur place, avec pour certains une démarche plus corrective que pédagogique. Ils avaient par ailleurs la possibilité d’assurer des missions de maîtrise d’œuvre publique sur leurs secteurs de conseils, ce qui posait question ».

C’est après avoir été missionné sur le redéploiement de la consultance architecturale en Isère que Serge intègre définitivement l’équipe du CAUE. Il explique l’évolution enclenchée par le CAUE dans son approche de cette mission : « En Isère, nous avons créé notre propre système de consultance, où le maire choisissait son architecte-conseiller, alors qu’auparavant c’était l’État qui l’imposait. Nous défendions devant les élus l’idée que l’architecte-conseiller était leur représentant. En étant les premiers à rencontrer les pétitionnaires, ils rencontraient notamment les futurs habitants de la commune. Il était donc essentiel que ces pétitionnaires soient bien accueillis ».

Serge poursuit : « L’idée était d’expliquer que l’architecte-conseiller apportait un point de vue, mais les élus conservaient bien sûr toute marge de décision. ‘’Nous conseillons, vous décidez’’, c’était le slogan de l’époque. Et il était essentiel pour nous que la consultance soit assurée par des praticiens, architectes libéraux en activité, d’une part pour lier le conseil à la réalité de la maîtrise d’oeuvre, mais aussi pour essaimer la culture CAUE au sein de la profession qui nous était au début parfois défiante ».

Suite à une vacance longue du poste de direction, et en faisant valoir un projet pour la structure, Serge devient directeur du CAUE en 1989. Il en profite pour poursuivre le développement du réseau de la consultance, persuadé que c’est un levier puissant pour enraciner l’action du CAUE dans tout le département : « la consultance a bien pris, parce que les maires étaient globalement assez démunis au niveau de l’instruction des autorisations d’urbanisme, alors qu’à cette époque, en matière d’aménagement, la France bougeait beaucoup. Et d’un autre côté, on assurait aussi la formation des instructeurs des autorisations d’urbanisme de l’Etat.  Notre position devenait centrale ».

Plus globalement, à travers sa mission de conseil aux collectivités assurée par l’équipe permanente, le CAUE construit peu à peu sa place dans le paysage isérois : « Nous avons réussi à nous lier avec l’ensemble des acteurs, la presse qualifiait même notre rôle ‘’d’arbitre de l’architecture’’. Je pense que nous avons réussi à amener une certaine loyauté dans les consultations de maîtrise d’oeuvre, à une époque où les rôles de chacun n’étaient pas encore très clairs, ce qui a été assez apprécié, y compris par les concepteurs. Nous avons par la suite, aux côtés d’autres CAUE, participé à faire émerger la mission de programmation et le métier de programmiste ».

Patiemment, Serge anime cette équipe permanente qui s’élargira progressivement : « Au fur et à mesure des années, mais assez lentement, l’équipe s’est étoffée avec l’embauche de compétences en paysage, puis en urbanisme. Cela nous a permis d’offrir aux communes un appui complet en matière de conseil. Et cette mission du CAUE s’est développée de manière assez incroyable, simplement par le bouche-à-oreille. Chaque année, nous doublions les communes accompagnées. Cela nous a permis de justifier les besoins d’élargissement de l’équipe, d’autant que la hausse du nombre des constructions agrandissait l’assiette de la taxe qui nous finançait. De ce fait, au cours des années 2000, l’équipe a plus que doublé ».

A la tête du CAUE, Serge fera monter en puissance l’organisation de voyages d’étude qui seront une marque de fabrique de l’association, participant puissamment à son rayonnement. « Nous avons commencé par poursuivre la visite d’opérations exemplaires. Et nous nous sommes rapidement aperçus que dépayser des élus, les faire sortir des problématiques quotidiennes de leur territoire, était une meilleure manière de les sensibiliser, de leur faire découvrir d’autres approches de l’aménagement et de l’architecture. En organisant ces visites dans des département voisins, nous avons également rapidement compris qu’en matière de démarche innovante rien n’était plus efficace qu’un échange direct d’expériences d’élu à élu. Nous avons donc pris le parti d’associer systématiquement les élus, notamment dans les premiers voyages d’étude en Suisse et en Allemagne, que nous animions en partenariat avec le Centre d'information et de formation des élus locaux de l'Isère  (CIFODEL) ».

C’est à l’occasion d’une expérience fondatrice en Autriche que Serge va avoir l’intuition de développer ces projets : « La grande nouveauté est arrivée lorsqu’au début des années 2000, la Cité de l’architecture m’a invitée à participer à un voyage d’étude dans le Voralberg. J’étais d’accord, mais je voulais que des personnes de mon conseil d’administration m’accompagnent. Je suis donc venu avec quatre élus emblématiques : le Président du CAUE qui était élu du Conseil général, un élu de la ville de Grenoble, un élu pour le Parc de Chartreuse et un autre pour celui du Vercors. Et ces élus ont été littéralement éblouis de découvrir qu’une région, par bien des égards comparable à la nôtre, avait mis en place un projet de développement, valorisant la filière bois locale - la nôtre était en train de se structurer - pour créer des architectures innovantes et performantes énergiquement à un niveau inégalé jusque là en Europe ».

Les voyages d’études prendront peu à peu une dimension nouvelle : « Fort de ce succès, nos voyages se sont multipliés à la demande des élus et des professionnels en associant des architectes, des bailleurs sociaux, des promoteurs et des universitaires. Ce métissage des publics nous a permis de favoriser des contacts marquants et stimuler la création de futures équipes de projets. Après Fribourg et ses écoquartiers, en Allemagne, nous sommes allés huit fois au Vorarlberg mais aussi à Hanovre et Tübingen pour la question de la participation des habitants au projet urbain. Nous avons réussi à construire un modèle sur trois jours qui permettait de tirer pleinement partie de ces voyages : la sidération de la découverte le premier jour, la remise en cause de nos modèles le deuxième jour et l’appropriation le troisième jour. Il y avait une intensité des rencontres qui était magique. Les voyages d’étude étaient bien plus efficaces que toutes les conférences que l’on pouvait organiser, parce que les participants y vivaient physiquement des vrais chocs culturels, émotionnels, amicaux. Ils en ressortaient en disant ‘’c’est possible, on va le faire’’. On leur ouvrait d’une certaine façon une fenêtre de rêve et de transformation, et l’action publique a besoin de se nourrir de cela ».

Après trente-cinq années de compagnonnage avec le CAUE, auquel il aura donné une dimension toute nouvelle, Serge témoigne de ce que les statuts singuliers de notre association apporte à l’action publique : « Pour moi, ce qui fait la force des CAUE, c’est une certaine indépendance de pensée. Le fait de ne pas être juge et partie, de ne pas être maître d’œuvre mais uniquement dans une posture de conseil, cela reste pour moi notre grande singularité. Et en même temps, il y a une certaine plasticité des CAUE qui leur a permis de s’adapter à chaque contexte local dans leurs départements respectifs. En Isère, nous sommes depuis longtemps un territoire qui compte de nombreux concepteurs. Nous avons réussi à construire notre place justement en valorisant leur action, en montrant aux collectivités la richesse de ce vivier local. Et puis nous avons réussi à travailler avec des élus audacieux, donnant lieu à des opérations qui bougeaient les lignes pour être au plus près de la singularité des lieux et de leurs besoins et qui avaient une valeur d’exemplarité. Ces projets ont permis de faire survenir de nouvelles méthodologies d’intervention, des questionnements émergeants. L’aide à la décision, stimulée par des réflexions préalables bien construites, ou des pré-études de professionnels ont donné aux élus les moyens de jouer pleinement leur rôle de maitre d’ouvrage. En ce sens, nous avons contribué à nourrir ‘’la culture du projet’’ de nos élus et partenaires ».

A la question d’indiquer, dans un département qu’il connaît très bien, un paysage qui lui est cher, Serge répond : « J’ai un faible pour le Trièves, parce que c’est, je trouve, ce qu’il y a à la fois de plus monumental et de plus apaisé en Isère. On y retrouve tous les éléments du grand paysage, et en même temps une diversité de sites absolument incroyable, avec cet aspect de faux plateau fracturé par le Drac et l’Ebron. C’est là d’ailleurs que le CAUE a accompagné la création du premier observatoire du paysage. Le Trièves est un paysage très vivant, agricole, finalement assez peu habité, tout en étant une montagne active, avec une société civile très dynamique. Ce territoire ne cesse de m’étonner ».

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