Figures du CAUE : Thomas Braive, de l’objection de conscience à la consultance.

Figures du CAUE : Thomas Braive, de l’objection de conscience à la consultance.

24/01/2025 Architecture

Dans le cadre du 45ème anniversaire du CAUE, nous poursuivons nos entretiens avec des personnalités témoins de la vie de l’association. Ce mois-ci, c’est au tour de Thomas Braive, architecte-conseiller du CAUE. 

Thomas Braive a une histoire particulière avec notre association : « Je suis un vrai bébé CAUE ! ». Thomas a en effet débuté sa vie professionnelle, en y étant objecteur de conscience durant 17 mois, entre 1998 et 1999. Sa rencontre avec le CAUE a été fortuite : « j’étais en dernière année d’école d’architecture, à Strasbourg, et un jour je vois sur un panneau d’affichage en liège une petite annonce du CAUE de l’Isère qui mentionnait simplement ‘’Recrute objecteur de conscience’’. C’est Jacques Félix-Faure, qui était professeur dans cette école, mais aussi architecte-conseiller du CAUE, qui l’avait déposée ». 

Thomas a été intrigué par cette proposition : « Je viens de Bretagne, j’avais fait mes études à Strasbourg, et le Sud-Est de la France m’était totalement inconnu, je n’y étais jamais allé. L’Isère correspondait bien à mon envie de changer d’air ». Cette opportunité est apparue en effet lors d’un tournant dans le parcours de Thomas : « C’était la dernière année du service national obligatoire, j’aurais pu faire une année d’étude en plus pour y échapper, mais ça ne m’intéressait pas. Je ne connaissais pas vraiment bien les CAUE, mais j’avais envie d’expérimenter une autre façon d’exercer l’architecture, je n’avais pas été très satisfait de mes années de stages en agence. Je doutais de ce que je voulais faire plus tard, et cette annonce du CAUE est tombée à pic ».

Le cadre de travail d’un objecteur de conscience est alors particulier : « je débarque pour la première fois à Grenoble en novembre 1998, et j’intègre une petite équipe pluridisciplinaire. Je suis super content. J’étais très peu payé par contre, l’équivalent de 100€ par mois, mais à l’époque les objecteurs bénéficiaient de nombreuses aides, via l’armée notamment qui donnait par exemple une solde pour les vêtements. Au final ça me convenait plutôt bien ». Thomas va peu à peu découvrir l’action du CAUE : « J’ai été un peu adopté comme un enfant qui arrive dans une nouvelle famille, j’avais à peine 23 ans. Et rapidement je mène des missions de conseil pour des communes, en me déplaçant dans tout le département. Je me souviens avoir travaillé par un petit village de Belledonne qui réflechissait à installer un abribus et un local poubelles. J’avais dessiné plein d’hypothèses, et je me souviens que Serge Gros, directeur du CAUE, me disait ‘’arrête, tu en fais trop, tu ne dois que suggérer ! Tu ne dois pas dessiner, ce n’est pas ton job, c’est celui du concepteur’’». 

Au CAUE, Thomas se familiarise avec des éléments qui marqueront sa vie professionnelle par la suite, comme le dialogue avec des maîtrises d’ouvrage publiques :« Ça m’a permis de découvrir le lien avec des communes. Je n’avais jusque-là jamais travaillé avec des élus de commune rurales. Venant d’une ville, Lorient, j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas du tout. Et puis en sortant de l’école d’architecture, je n’avais pas conscience que l’architecture était en premier lieu le fruit d’une commande, et que cette commande il fallait qu’on la nourrisse. » Il ajoute : « finalement, au CAUE j’ai compris que le projet d’architecture était la dernière phase d’un cycle de maturation où l’architecte a la belle part, l’objet visible, mais avant cela il y a un long cheminement de réflexion : un choix de programmation, un arbitrage foncier, une recherche de financement... J’ai découvert que la position de l’architecte était inscrite dans un cycle beaucoup plus grand que je ne l’imaginais ».

Surtout, au CAUE Thomas s’ouvre à un espace géographique qui marquera sa vie par la suite : « A mon entrée dans le CAUE, je comprends que j’arrive dans un endroit qui a une grande richesse paysagère, et donc architecturale, parce que l’architecture découle directement du paysage. Et donc je me dis ‘’génial, je vais découvrir le monde du pisé dans le Nord-Isère, le monde alpin dans le Sud-Isère. C’était comme si j’allais dans un autre pays.’’ ». 

Après 17 mois au CAUE, Thomas poursuit ses pérégrinations en travaillant un an en Polynésie, puis en voyageant. « Après ce voyage, j’ai muri le projet de retourner en agence. Et finalement j’ai décidé de retourner à Grenoble, où je m’étais fait une petite bande de copains, et qui était devenu un peu ma maison. » Thomas a ainsi intégré pendant six ans une agence grenobloise. En 2009, il co-fonde sa propre agence avec sa collègue Anne Foulon, dénommée Atelier de la place à partir de 2012. 

Le directeur du CAUE le sollicite alors pour devenir architecte-conseiller. « Je me suis alors retrouvé à devenir architecte-conseiller sur la commune de Gières, pour laquelle je travaille encore aujourd’hui. » Si Thomas évoque le « confort depuis quinze ans de travailler avec des gens que je connais, sur un territoire que je maîtrise », il ne se lasse pas d’intervenir sur cette commune « qui est très intéressante. A Gières, il y a un peu tous les types d’espaces. C’est un village qui a connu un véritable choc urbain en accueillant une gare, un terminus du tramway et une plaine des sports. Ces équipements intercommunaux l’ont projeté dans le monde de la ville. J’ai commencé à un intervenir à ce moment-là. C’était très intéressant en consultance, parce qu’il y avait une grande diversité de projets : de l’extension de garage à la construction de nouveaux quartiers. Il y avait des chocs des cultures intéressantes à accompagner ». 

Thomas décrit son rôle comme un « ambassadeur de la profession. Je reçois en consultance des gens qui ne seraient pas allés voir un architecte. Je leur offre une vision globale de leur maison, des idées. J’essaye de donner une bonne image de ce que peut faire un architecte, en tentant de leur montrer la plus-value d’en rencontrer un. Parfois c’est suffisant, ils ont eu un conseil qu’ils peuvent mettre en œuvre, comme sur le choix d’une couleur par exemple, et ils sont très contents, tant mieux si ça leur donne envie d’aller voir ensuite un ‘’vrai’’ architecte ». 

Thomas évoque l’envergure de sa mission : « Je dois être à 800 consultances à Gières depuis 2009. Et depuis que j’y travaille, de grosses poches foncières ont été urbanisées. Ça m’est arrivé parfois de me confronter à des architectes de gros projets de promotion, qui à mes yeux ne faisaient pas beaucoup d’effort pour tenir compte du contexte environnant. D’habitude je suis plutôt doux en consultance, mais il m’est arrivé d’être particulièrement remonté. En bataillant un peu aux côtés de la commune, j’ai vu certains projets bouger, et là je me suis dit que j’avais peut-être un impact ».

Au sein de son agence, Thomas explique « rester sur le créneau des marchés publics, où d’une certaine manière le métier d’architecte fait plus sens. Travailler sur des projets d’intérêt général correspondait d’ailleurs à mon rêve d’architecte quand j’ai voulu faire ce métier. Nous sommes plutôt orientés sur des projets avec de la construction bois si c’est un attendu, sur des sujets d’équipements publics ou de logements collectifs principalement. » 

Si la consultance paraît à Thomas trop différente de son activité libérale pour être directement complémentaire, il explique en être « aussi nourrit qu’avec mes interventions devant les étudiants de l’école d’architecture de Grenoble. Il y a en consultance quelque chose de l’ordre de la pédagogie, de la transmission. Il n’y a pas de lien très direct avec mon activité d’agence, mais la consultance me permet de prendre un peu de recul. C’est une forme d’exercice de style qui est intéressant ».

Lié à notre association, Thomas explique : « Ce que j’apprécie beaucoup dans le CAUE, c’est sa dimension pédagogique : c’est quand il anime un cycle de conférences, quand il fait mélanger les gens et les genres : les promoteurs, les bailleurs, les étudiants, les concepteurs. C’est une force de pouvoir organiser des évènements publics qui rassemblent du monde autour de la question de l’aménagement. Être à la croisée des chemins, ça donne au CAUE une place stratégique que peu d’autres acteurs ont ». 

A la question fil-rouge des 45 ans du CAUE concernant un paysage isérois qui lui est cher, Thomas explique : « Je pourrais parler du Trièves, qui est un paysage emblématique, très agréable à regarder, et qui fait briller les yeux de pas mal de gens. Donc ce n’est pas très original. Alors si je devais choisir un paysage, ça serait celui de la Matheysine. C’est un territoire très typé d’un point de vue paysage. Il reste très agricole, avec un côté ‘’brut de décoffrage’’ dans son bâti, qui le rend très singulier en Isère. J’aime la singularité de ce plateau avec ces lacs, les haies bocagères, les longères encore présentes. C’est un endroit qui a un sacré caractère, et que j’aime malgré son aspect un peu brutal ».

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