Les protections patrimoniales ne sont pas une contrainte, elles sont une chance

Les protections patrimoniales ne sont pas une contrainte, elles sont une chance

26/11/2025

En cette fin de mandat municipal, le CAUE a fait le choix de retrouver des élus qu’il a eu l’occasion d’épauler ces dernières années. D’ici les élections de mars 2026, vous trouverez chaque mois dans notre newsletter une interview d’un ou d’une élue iséroise racontant cette collaboration, l’occasion de rendre compte des enjeux auxquels les élus locaux sont confrontés concernant les projets d’aménagement. 

Pour ce troisième portrait, nous avons retrouvé Yvan Argoud, maire de Revel-Tourdan. 

Revel-Tourdan est un village d’un millier d’habitants, situé au bord de la plaine de la Bièvre. Cette commune a la particularité d’avoir toujours été constituée de deux centres-bourgs : Revel, sur les coteaux et Tourdan, dans la plaine. 

Yvan Argoud est un enfant du pays : « Ma famille est de la commune. J’ai été plongé depuis tout petit dans un bain local, notamment en lien avec mes parents qui étaient investis dans des associations sportives du territoire, entre autres ». 

Cette fibre associative a suivi Yvan Argoud : « Je me suis très tôt investi dans des associations locales et notamment sur les volets culture et patrimoine. Cette sensibilité, je pense qu’elle me vient d’un attachement à mes racines. Pourtant, ce n’est pas du tout mon domaine d’activités professionnelles, puisque je travaille dans la logistique. Mais l’Histoire m’a toujours passionné ». 

Comme souvent, cet engagement dans la société civile a précédé un engagement politique : « A Revel-Tourdan, nous avons depuis de longues années des commissions ouvertes aux habitants sur certaines thématiques. Avant d’être élu, j’étais déjà dans la commission culture et patrimoine de la commune. Chez nous, les projets d’aménagement sont toujours menés en partenariat avec ces commissions ». 

La suite est venue naturellement : « Le conseil municipal devait être largement renouvelé en 2008 et on m’a alors proposé d’intégrer la liste candidate pour les élections. J’ai réalisé ainsi un mandat en tant que conseiller municipal, puis en 2014 je suis devenu conseiller municipal délégué à la culture et au patrimoine, et en 2020 j’ai été élu maire ».

Les liens entre Yvan Argoud et le CAUE sont anciens : « J’ai entendu parler du CAUE pour la première fois en mairie, lorsque j’étais simplement membre de la commission culture et patrimoine, il y a plus de vingt ans. Notre commune se fait accompagner par le CAUE depuis des décennies. Et ce lien a été transmis d’équipes municipales en équipes municipales au fil des années ». 

C’est évidemment en devenant élu que la collaboration est devenue plus dense : « J’ai travaillé plus directement avec le CAUE dès 2016, lorsque la commune a engagé la requalification des espaces publics du centre-bourg de Revel, avec le recrutement d’un paysagiste-concepteur. Par la suite, le CAUE nous a accompagné également sur d’autres projets, comme la réhabilitation des bâtiments du centre-bourg de Tourdan, qui a nécessité notamment l’intervention d’un architecte du patrimoine : la création d’un pôle culturel avec médiathèque et salle de danse, des gites, une salle des fêtes ».

Là encore, il s’agissait d’un partenariat dans la continuité entre la commune et le CAUE : « Avant ces deux projets, la commune avait engagé, accompagnée par le CAUE, une étude globale de programmation sur les bâtiments et les espaces publics de la commune. Nous nous posions beaucoup de questions sur les besoins, quoi mettre où. Ça nous a permis d’acter la vente d’un bâtiment, et de savoir comment redistribuer les équipements sur la commune. ». 

Résumant le rôle du CAUE, Yvan Argoud explique : « Le CAUE nous a d’abord aidé en matière de méthodologie. Au-delà de notre volonté de se lancer dans un projet, il nous a détaillé par quoi commencer, en évitant les précipitations contre-productives. En tant qu’élus, concernant un espace ou un bâtiment, on a vite des idées prédéfinies. Il ne faut pas aller trop vite au départ, quitte à mettre les bouchés doubles ensuite dans la réalisation. Il faut prendre le temps de poser les choses, nous poser les bonnes questions et mettre tout le monde autour de la table ». 

Il poursuit : « Le CAUE nous a surtout épaulé ensuite pour choisir nos maitres d’œuvre. C’est précieux, parce que gérer des marchés publics, rédiger des cahiers des charges, pour une petite commune comme la nôtre, c’est compliqué. L’accompagnement pour la phase d’audition des candidats, c’est aussi essentiel. On vient d’en mener une avec le CAUE pour recruter un architecte en charge de la réhabilitation de l’église de Tourdan. J’ai mené au moins quatre auditions avec le CAUE et c’est très enrichissant de voir les approches des concepteurs. Ça me fait penser à un entretien d’embauche. Il y a des fois où ça matche d’un coup, d’autres fois on est plus circonspect et la relation se tisse au fur-et-à-mesure de la mission. Avoir le CAUE à nos côtés lors de ces moments clés du mandat, ça n’a pas de prix ». 

Yvan Argoud témoigne de sa satisfaction après toutes ces années d’effort « Voir sortir les projets que nous, élus, nous avons portés, les voir vivre, c’était le but de toutes ces démarches. A Tourdan, la médiathèque a été installée dans un espace bien plus grand, qui est agréable. Ça a reboosté l’équipe de bénévoles et le nombre d’adhérents a explosé. Les gens y viennent maintenant naturellement, ils se rencontrent et ça mélange les générations. La salle de danse accueille des activités presque tous les soirs. A Revel, maintenant que les espaces publics ont été requalifiés, quand il y a une fête nous bloquons la circulation sur toute la place. C’est très chaleureux ». 

Revel-Tourdan a eu recours à de multiples types d’accompagnements assurés par le CAUE. Le dernier en date est celui en lien avec le label Villes et villages fleuris. « L’accompagnement pour l’obtention d’une première fleur a été une super expérience. Le CAUE avait organisé lors de la phase de préparation des visites croisées avec d’autres communes qui nous ont beaucoup inspiré. Comme je le dis à mes collègues, ce label va bien au-delà du fleurissement, il concerne la gestion d’ensemble des espaces publics et du cadre de vie. Chez nous, ça implique autant le traitement du minéral que du végétal ». 

Comme pour tous ses projets, la commune s’est investie avec rigueur et détermination : « Nous avons décroché rapidement une première fleur en 2023, donc en moins de deux ans d’accompagnement, plus rapidement que prévu, parce que le CAUE a jugé que nous étions prêts. Au-delà de la fierté des habitants et de l’image vis-à-vis de nos visiteurs ce label nous a aidé à nous structurer en interne, à définir une feuille de route, en fédérant l’ensemble des acteurs de la commune, services techniques comme habitants ». 

Gérer l’aménagement d’un village comme Revel-Tourdan, c’est engager au quotidien des projets dans un contexte patrimonial particulier : « Une très grande partie des secteurs bâtis de la commune, dont les deux centre-villages, est couverte par un Site patrimonial remarquable (SPR). Il s’agit d’une servitude d’utilité publique qui permet, à travers un règlement, de préserver les singularités de notre bâti. Donc nous avons la spécificité d’avoir quasiment toutes les demandes d’autorisation d’urbanisme qui nécessitent l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France ». 

Les Tourvellois ont depuis assez longtemps exprimé un attachement fort envers le patrimoine de leur village, lequel a été assez préservé : « Il y a dans notre petite commune trois associations centrées sur les questions patrimoniales et culturelles, c’est considérable. Notre chance paradoxale, c’est que le village n’a pas été dénaturé. Plus qu’ailleurs, il y a eu ici une grosse déprise démographique au XXe siècle, la commune s’était vidée et la population n’a augmenté que récemment. Le revers, c’est que dans les années 1950-1960 une partie de notre bâti ancien a été délaissé voire a disparu. Mais nos deux centres-villages, pourtant seulement distant d’un kilomètre ont conservé leurs spécificités : à Tourdan les bâtiments sont en pisé, à Revel en pierre de molasse ». 

En cohérence avec cette dynamique habitante, les élus ont mené des efforts importants de protection de ce bâti, en adoptant en 2007 une Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager (ZPPAUP), puis, quatre ans plus tard, en faisant protéger au titre des monuments historiques le château de Barbarin à Revel et l’ensemble prieural de Tourdan. Yvan Argoud assume cette politique ambitieuse : « Je dis toujours que les protections patrimoniales ne sont pas des contraintes, elles sont une chance. Dans certains villages, Le cadre de vie général a beaucoup perdu de sa cohérence, alors que je trouve que chez nous il a pu être plus préservé. Notre cadre de vie est quand même très appréciable. Les habitants en sont témoins en voyant les nombreux visiteurs s’arrêter dans notre commune ». 

Il précise : « La ZPPAUP puis le SPR nous ont donné une ligne de conduite pour le devenir de notre commune, depuis de nombreuses années, même si ça nous met un peu en marge des autres communes. Il y a des villages qui ont des cœurs de bourgs avec du bâti ancien qui a encore un peu d’âme patrimoniale, mais leur règlement de PLU est souvent basique et avec des aménagements peu maîtrisés, ces cœurs de bourgs perdent leur identité je trouve. Je pense qu’on a réussi à garder à Revel-Tourdan une âme rurale, une harmonie, en conservant les matériaux du bâti ancien. La protection patrimoniale a permis cela : l’attention portée aux  menuiseries, aux toitures avec le choix des tuiles par exemple, aux couleurs des façades, tout ce qu’on voit finalement ». 

Yvan Argoud ne nie pas pour autant les efforts que ce cadre implique : « Bien sûr que cela génère des obligations, mais à la fin, on se rend compte que c’est un cadre qui nous oblige à réfléchir. Je suis persuadé que sur le bâti, le SPR nous évite tous de commettre des erreurs, la commune comme les particuliers. Ça nous oblige quelque part à aller à l’encontre des modes du moment, comme les fenêtres PVC ». 

Il détaille le rôle central des élus dans ce portage : « En tant que maire, je ne me cache pas derrière l’avis de l’ABF. Les avis rendus concernant des DP (déclarations préalables de travaux) à enjeux, je vais les expliquer devant les pétitionnaires, puisque c’est nous, élus, qui avons mis en œuvre le SPR. Avec mes collègues, nous essayons au maximum de rencontrer les pétitionnaires avant le dépôt de la demande, pour éviter un rejet. Un rejet, ça ne fait jamais plaisir à personne et ce n’est pas très constructif. On envoie aussi les pétitionnaires vers l’architecte-conseil du CAUE. La police de l’urbanisme, c’est le plus difficile à gérer au quotidien. Ceci dit, nous n’avons pas à déplorer de travaux trop problématiques, justement parce que nous prenons le temps de rencontrer les habitants ». 

Concluant notre échange, Yvan Argoud rend compte en quoi, à ces yeux, tous ces projets menés par la commune ont été essentiels : « Ce qui me rend le plus heureux dans mon mandat de maire, c’est de voir les gens heureux. Nous avons la chance d’avoir de nombreuses associations dans le village et ce sont les moments collectifs que ces associations génèrent qui sont pour moi les plus motivants, lors des fêtes par exemples. Aujourd’hui, ces temps ont lieu dans un cadre appréciable et je me dis que nous avons eu raison de prendre le temps de bien faire les choses ».

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