Portrait d’élue – France Denans, adjointe au maire de Tencin
23/10/2025
En cette fin de mandat municipal, le CAUE a fait le choix de retrouver des élus qu’il a eu l’occasion d’épauler ces dernières années. D’ici les élections de mars 2026, vous trouverez chaque mois dans notre newsletter une interview d’un ou d’une élue iséroise racontant cette collaboration, l’occasion de rendre compte des enjeux auxquels les élus locaux sont confrontés concernant les projets d’aménagement.
Pour ce deuxième portrait, nous avons retrouvé France Denans, adjointe au maire de la commune de Tencin.
France Denans est devenue élue pour la première fois en 2014 : « Je venais de me lancer en tant qu’architecte indépendante sur la commune, et j’étais venue me présenter devant le maire, en lui disant que j’allais me mettre à mon compte. C’était une manière de me faire connaître aussi pour peut-être trouver du travail, et j’ai critiqué ce qui se faisait dans la commune en matière de constructions, avec mon regard d’architecte, notamment concernant les opérations neuves. De mon point de vue, ça n’allait pas, et je me suis permise de lui dire. Suite à cette conversation, il m’a proposé de rejoindre son équipe, puisqu’il était en train de remonter une liste pour les élections municipales. Et j’ai accepté ».
Cette commune de Tencin, France Denans y est particulièrement attachée : « Je suis arrivée ici quand j’avais cinq ans. J’ai intégré par la suite l’école d’architecture de Grenoble et j’ai travaillé dans des agences de la région. Je n’avais pas du tout imaginé devenir élue. Mais j’ai dit oui parce que je sentais qu’avec mon regard d’architecte, je pouvais apporter quelque chose à ma commune ».
Ses compétences professionnelles sont très rapidement mobilisées : « Comme j’étais architecte, on m’a directement confié le poste d’adjointe à l’urbanisme, je connaissais le PLU, son fonctionnement. Dans la réalité, jusqu’à ce moment-là à Tencin, c’était le maire qui gérait seul l’urbanisme, cette compétence n’était pas présente. Il avait besoin d’une certaine manière d’être déchargé car c’est un enjeu lourd ».
Très rapidement après son élection, France Denans contacte notre association : « J’ai sollicité le CAUE dès 2014, parce qu’un projet de requalification des rues avait déjà été lancé par la commune dans le vieux Tencin. Une seule rue avait été réhabilitée, mais pour moi ce n’était déjà pas satisfaisant. La commune n’avait pas fait appel à un paysagiste-concepteur, mais directement à une entreprise de travaux, qui avait commencé à couler de l’enrobé mur à mur. C’est en recherchant sur internet une structure qui pouvait accompagner les collectivités que j’ai redécouvert l’action du CAUE, dont j’avais un peu entendu parler lors de mes études ».
Elle détaille : « Le CAUE, suite à un premier travail de diagnostic, nous a accompagné dans la sélection d’une équipe de maîtrise d’œuvre qui a travaillé à nos côtés pour concevoir une requalification réfléchie des espaces publics ».
Cette première collaboration positive incite très rapidement France Denans à solliciter à nouveau l’appui du CAUE : « Sur la même période et sur le même secteur nous avions le projet de rénover notre église, qui était humide en raison de petites interventions successives. Des vitraux avaient par exemple été percés pour faire passer des gaines d’aération. Le CAUE nous a aidé à recruter un architecte du patrimoine pour y remédier. Mon objectif était de protéger le centre ancien de Tencin. Je trouvais que le patrimoine n’était pas mis en valeur, il était caché, bien qu’il intègre le périmètre de protection des monuments historique du château de Tencin ».
France Denans en a un fait un axe fort de son positionnement d’élue : « Ma sensibilité pour le patrimoine je pense qu’elle vient d’un intérêt plus global pour l’histoire, un goût qui m’a été transmis par mon père. Le patrimoine rend visible l’histoire et j’aime l’idée de garder trace de l’histoire en préservant le patrimoine dans son intégrité, en ne le détruisant pas ou en le rénovant de manière adéquate. Certainement que d’avoir grandi à Tencin fait que je suis attachée à mon village et que j’ai envie de le préserver ».
Elle assume d’ailleurs avec humour : « Pour moi Tencin a sa propre identité et je ne vois pas d’autre village qui ressemble à Tencin, même dans le Grésivaudan. Je suis peut-être chauvine ! Ici, il y a de la pierre de schiste avec de très gros linteaux et des jambages énormes que je ne vois pas dans les autres villages. C’est peut-être dû à l’histoire du village où pendant des décennies au XXe siècle sa comtesse avait fermé la commune et ne voulait pas de construction dans ses terres, elle ne voulait pas l’installation d’usines comme chez nos voisins. À sa mort, il y a une trentaine d’années, c’est son fils qui a vendu progressivement du foncier et notre commune s’est urbanisée finalement d’un seul coup ».
France Denans ajoute : « Pendant longtemps, nos rues étaient grises, assez tristes. Tout ce secteur du centre ancien était très méconnu, parce que les gens traversent la commune par la RD et ne savent pas qu’il y a ce vieux Tencin. Nos habitants avaient d’une certaine façon intégré l’idée que Tencin n’était pas beau. Cette requalification a été réussie parce que les gens se baladent désormais dans ce secteur, ils se réapproprient ces espaces. En tant qu’élue, ce qui me rend le plus heureuse c’est lorsqu’un projet est terminé et que je vois que la population se l’approprie. C’est le signe qu’il est réussi ».
Cette attention au bâti ancien est désormais présente dans les projets que la commune initie : « Les travaux dans le centre-village, par l’utilisation de la pierre de schiste, du béton désactivé, du bois, des pieds de murs végétalisés ont permis de retranscrire cette histoire rurale. Les matériaux permettent des rappels inconscients ». Elle poursuit : « Le CAUE nous a également accompagné pour la révision de notre PLU. Nous avons fait le choix de faire un PLU patrimonial, qui intègre un inventaire des éléments remarquables et surtout un règlement écrit spécifique pour le centre ancien, de manière à le protéger et accompagner au maximum des réhabilitations de qualité. Cela nous a permis de réguler certaines divisions parcellaires qui auraient été totalement inadéquates ».
Ces dernières années, Tencin et le CAUE ont travaillé ensemble pour viser une première labellisation du dispositif Villes et villages fleuris : « C’est le CAUE qui m’avait informé de cette possibilité d’accompagnement vers la labellisation. J’ai sauté sur cette occasion, en me disant qu’en initiant cette démarche, nous allions donner une ligne directrice pour embellir notre commune. Le label va bien au-delà des questions d’embellissement bien sûr, mais pour moi c’est une dimension importante. Une commune dont on a le sentiment qu’elle est belle donne envie d’y vivre, fait qu’on s’y sente bien. C’est la qualité de vie des habitants qui est en jeu. Et on sait par ailleurs aujourd’hui que le végétal dans nos espaces de vie est bénéfique à notre santé, notamment concernant les îlots de fraicheur ».
En résumant l’accompagnement du CAUE, France Denans explique : « Ce n’est pas facile en tant qu’architecte au sein d’une équipe municipale de défendre sa vision. C’est sans doute une déviation professionnelle, mais je suis convaincue qu’il faut réfléchir au projet avant de le faire. On peut avoir l’impression que je suis obsédée par le patrimoine, le paysage, alors que je suis simplement attentive à la qualité de notre cadre de vie. D’une certaine manière, le CAUE m’a aidé à appuyer cette vision en mairie. Dans une commune qui n’avait pas l’habitude de lancer des études préalables, mais qui recrutait directement des entreprises pour effectuer des travaux, ce que je défendais semblait hors sol ».
Aujourd’hui, France Denans constate le chemin parcouru : « Le CAUE nous a aidé à cela, à réfléchir à nos projets avant de les faire, et je pense que c’est quelque chose qui est partagé au sein de l’équipe municipale aujourd’hui. C’est le fait de voir des projets réussis qui a convaincu tout le monde. Sur la requalification du centre-village, nous voyons que les gens sont contents, qu’ils se baladent dans le centre ancien de Tencin. Il y a des visites d’élus extérieurs organisées par le CAUE qui ont eu lieu. Nous percevons que Tencin devient un joli village et même une référence au regard de certains projets ».
Au-delà de ces avancées, le quotidien d’élue à l’urbanisme demeure complexe : « La police de l’urbanisme est difficile en tant qu’élus. J’ai le sentiment qu’on a assez peu de poids. Parfois, même quand on s’engage dans un contentieux au nom de la commune, il n’y a pas de suite ».
France Denans avance : « La loi devrait simplifier les autorisations d’urbanisme, notamment pour ces petites actions simples, mais qui ont de grosses conséquences sur le cadre de vie. Normalement, les pétitionnaires sont censés pouvoir eux-mêmes déposer certaines demandes. Mais dans la réalité c’est impossible. Sur une maison individuelle, je peux comprendre qu’on demande des pièces précises, mais quand il s’agit d’une petite extension, ça a moins de sens. Une déclaration préalable de travaux (DP) qui implique un changement de menuiserie, cela exige quasiment les mêmes pièces que pour une demande de permis de construire ! Je trouve que c’est trop compliqué pour nos habitants, qui du coup s’affranchissent de cette étape. Il me semble que sur certaines évolutions légères, une simple photo de façade par exemple serait suffisante pour apprécier l’impact de la demande ».
Résumant sa position elle déclare : « Nous gagnerions tous à simplifier le processus, mais en exigeant en contrepartie les quelques pièces simples attendues. Cela nous permettrait de mieux réguler ce qui se fait dans la réalité. Notre crédibilité d’élus acteurs du cadre de vie y gagnerait beaucoup ».
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